PROLOGUE

Tandis que dans l'espace infini un objet qui ressemblait à un petit vaisseau spatial filait à vive allure en direction de la Terre, sur la planète bleue en question et plus précisément en France, dans les environs d'Amiens, Christopher Wilmot était heureux. D'abord, parce qu'il régnait, en ce début du mois de mars, sur Amiens et dans l'ensemble de la France en général, une chaleur estivale et il bénissait ce temps qui faisait que les filles se vêtaient d'attributs légers, tout comme sa copine, Cynthia Farmer qui était à ses côtés, et ensuite, parce que cette dernière lui avait annoncé ce matin même qu'elle se sentait prête à franchir le pas avec lui, à devenir une FEMME...

Du haut de ses vingt ans, Christopher Wilmot n'était plus un jouvenceau; il avait déjà beaucoup bourlingué de lit en lit, de banquette de voiture en banquette de voiture, et bien des pucelages avaient déjà cédés sous la fougue de sa jeunesse. En général, ce coureur de jupons invétéré, ce colinot-trousse-chemises des temps modernes, faisait la connaissance d'une fille dans la journée et au petit matin suivant, il l'avait déjà consommée jusqu'à la lie et mise au rancart. Seulement voilà, Cynthia, il l'aimait d'un amour fort et sincère. Un coup de foudre, son premier. Une catastrophe, pour lui qui ne concevait qu'une seule philosophie de l'amour: ne pas s'attacher et profiter au maximum de sa jeunesse. Etait-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Lui seul pourrait en juger.

Christopher Wilmot avait fait la connaissance de Cynthia au début du mois de janvier, à la piscine du Coliseum à Amiens. Elle lui avait plu, il lui avait plu, point final. Enfin, si on veut, puisque depuis, ils étaient inséparables. Je veux simplement dire qu'ils s'étaient plus dès le premier regard et qu'il n'y avait rien d'autre à ajouter pour expliquer le fait qu'ils étaient ensemble dans une voiture qui roulait à bonne allure sur une départementale entre Amiens et la Chaussée-Tirancourt, l'auto-radio branché sur la FM hurlant des rythmes endiablés.

Ils formaient un joli couple, lui qui avait tout d'un jeune premier et elle..., elle... Le plus simple pour décrire Cynthia, plutôt que de s'encombrer d'interminables phrases est de dire qu'elle aurait pu être la petite soeur de Clara Morgane.

Christopher Wilmot, dans un moment d'égarement, sans doute, avait sussuré tendrement à l'oreille de Cynthia au tout début de leur rencontre, juste avant de l'embrasser sur les lèvres pour la toute première fois:

- Je ne veux rien t'imposer, mon amour... Lorsque tu te sentiras prête pour faire "le grand saut", pour devenir une femme et laisser au bord de la route tes oripeaux de petites fille, tu n'auras qu'à me le dire. Je saurai t'attendre !

En toute bonne foi, Christopher Wilmot avait espéré que Cynthia lui répondrait qu'elle se sentait prête à faire "le grand saut" le soir même, au pire dans les quarante huit heures... 

Hélas, pour lui, Cynthia sortait à peine de ses quinze printemps et la jeunette était encore farouche. Les jours passaient sans qu'il obtienne les faveurs de sa belle. Un mois plus tard, lui: Christopher Wilmot, le "tripoteur de première", c'est à peine s'il avait eu l'autorisation de lui arracher des baisers fougueux et de lui frôler les seins... Pour ce qui était des fesses, après plusieurs tentatives infructueuses, il avait fini par renoncer.

Voyant que le deuxième mois allait s'achever de la même façon, il commença à désespérer sérieusement. C'est pourquoi, lorsque ce matin même béni des Dieux Cynthia lui annonça d'une voix décidée: "Mon Christopher chéri: je suis prête, j'ai besoin de ton amour, de sentir la chaleur de ton corps contre le mien..., je veux connaître l'ivresse des sens avec toi...", Christopher Wilmot frôla l'infarctus.

Il avait peur de ne plus savoir comment c'était fait une fille, mais il n'avait pas besoin d'aller aux cours du soir: il avait à disposition une documentation assez complète et détaillée qui pouvait lui permettre, si besoin, de se rafraîchir la mémoire (certaines mauvaises langues insinueront qu'il revoyait ses cours régulièrement).

Il ne leur restait plus qu'à décider de l'heure et de l'endroit.

A cause de leur famille respective, chez l'un comme chez l'autre la chose paraissait difficilement possible. Mais, par contre, en Don Juan digne de ce nom, Christopher Wilmot connaissait les meilleurs endroits où garer sa voiture pour s'acquitter de l'acte façon "écolo".  

- Où allons-nous, Christopher ?

- Ma chère et douce Cynthia, nous allons au Camp-César. Les champs s'étendent à perte de vue et je connais plein de coins où nous seront tranquilles. Et si ta première expérience sexuelle ne se passe pas au mieux..., je me ferais moine, promis, juré.

- Je te fais confiance, mon Christopher chéri. De toute façon, tu as tout le temps pour faire les choses bien, exceptionnellement, j'ai la permission de minuit. 

Bientôt, la voiture tourna à gauche, s'engagea sur un petit chemin agricole goudronné, dépassa l'oppidum et cahota sur quelques centaines de mètres sur des chemins de terre défoncés avant de s'arrêter aux abords d'un petit bois.

Christopher descendit de sa golf GTI noir, histoire de se dégourdir les jambes, tandis qu'à l'aide du miroir du pare-soleil, Cynthia se refaisait une beauté, mais ses gestes trahissaient une certaines nervosité qui allait croissante et elle aussi éprouva le besoin de faire quelques pas pour tenter de se calmer.

Quelques instants plus tard, la voix de Christopher demanda: 

- Cynthia, tu viens ?

La jeune fille jeta un coup d'oeil en direction de la golf où semblait se languir son compagnon. Visiblement inquiète, tendue, elle rejeta en arrière d'un geste mal assuré la mèche de cheveux blonds qui lui tombait sur les yeux.

- Tu as peur, ma puce ?

Cynthia rougit et admit, un peu gênée:

- Oui, j'ai un peu peur... C'est que c'est une étape importante, dans la vie d'une fille. Je ne sais pas si...

- T'inquiète pas, princesse. Tout ira bien. Et en plus, si ça peut de rassurer, j'ai toujours ce qu'il faut sur moi. Je sors toujours couvert.

Au grand soulagement de Christopher, encore fébrile, mais un peu rassurée, Cynthia le rejoignit dans la voiture.

Les phares cessèrent de trouer l'obscurité et hormis le hululement d'un rapace nocturne, le silence s'installa à nouveau.

Soudain, une exclamation d'indignation impatiente troubla la quiétude nocturne:

- Aaaaaah....! Raaaaagh..! Mais c'est pas vrai ! Je t'aurai ! 

- Que se passe t-il ? demanda Cynthia d'une toute petite voix.

- Rien de grave, rien de grave, s'empressa de la rassurer Christopher, songeant soudain que le moment était malvenu pour pousser des grands cris. Son amie était déjà suffisamment stressée.

- C'est juste que je n'arrive pas à déboutonner ma braguette... Mon jean est neuf..., la boutonnière n'est pas encore faite. Je vais descendre, ça ira mieux.

Une fois dehors, Christopher livra un combat acharné contre les boutons récalcitrant de sa braguette. Un ongle pas assez court se retourna et il sentit un spasme désagréable lui parcourir le corps. 

Une fois qu'il en fut venu à bout, il s'apprêta à réintégrer sa voiture, avant de se raviser. Subrepticement, après s'être assuré que Cynthia ne l'observait pas, il sortit un petit aérosol d'une poche de son blouson et s'envoya un petit coup de "pchiiit haleine fraîche" dans le "cache-mandibules". Alors, il ôta son blouson, le jeta sur la banquette arrière et rejoignit sa compagne.

Christopher repoussa les banquettes au maximum, rabattit les dossiers et plongea un regard torride dans les yeux de Cynthia qui avait connu des jours plus sereins. Il l'enlaça fougueusement et se saisit de sa bouche goulûment, tandis que doucement, avec délicatesse, les deux corps s'inclinèrent.

Christopher se promit que cette nuit là rien ni personne ne pourrait l'empêcher de connaître l'ivresse des sens avec Cynthia.

Christopher trouvait ces instants délicieux. Quand amour et sentiments sincères se mêlaient il n'y avait rien de plus fort. Mais alors qu'il s'enhardissait et s'apprêtait à découvrir des endroits interdits,  des phénomènes inquiètants et inexplicables se produisirent soudainement et le coupèrent net dans son élan. Ce fut la débandade.

Tout commença par un déferlement d'éclairs qui zébra les alentours et dont un s'abattit près du petit bois où se trouvait la voiture du couple d'amoureux. Il s'ensuivit de violentes explosions qui figèrent d'effroi Christopher et sa compagne tétanisés dans l'étreinte alors que la voiture vibrait de toute ses tôles et que son pare-brise commençait doucement à se fissurer avant, finalement, d'exploser.

C'en était trop. Cynthia était terrorisée, mais ne semblait pas blessée, alors sans prendre le temps de se débarrasser des éclats de verre qui le recouvrait et de remettre correctement de l'ordre dans sa tenue, Christopher redressa son dossier et démarra en trombe; tant d'ailleurs que la voiture dérapa, sortit du chemin et alla s'immobiliser dans un fossé. Le jeune homme tenta en vain de sortir le véhicule de sa fâcheuse posture.

- Bordel de m...e ! s'exclama t-il en martelant rageusement son volant.

Ce fut à cet instant que Cynthia craqua nerveusement: elle se mit à hurler, à s'agiter comme une hystérique et à trembler comme une feuille. 

Ayant vu une scène identique dans un film, Christopher lui appliqua le même traitement que l'acteur avait réservé à sa partenaire: une bonne paire de claques sur la figure et... la méthode se révéla efficace.

Christopher serra Cynthia un bref instant dans ses bras, s'excusa, puis réajusta ses habits et en criant pour se faire entendre dans tout ce fracas:

- Regagnons la départementale ! On va aller à la Chaussée-Tirancourt ! C'est le bled le plus proche ! 

Et alors qu'ils s'éloignaient au pas de charge du petit bois main dans la main, le déchainement cessa et le calme revint. Cela rassura un peu les deux tourtereaux, mais au bout d'un moment, la jeune fille demanda:

- Tu n'entends pas comme un sifflement..., un bourdonnement ?

Christopher s'arrêta et tendit l'oreille.

- Non Cynthia. Tu dois rêver. Je n'entends rien. Allez, en route, ne nous attardons pas ici, au milieu des champs.

Ils repartirent d'un bon pas, mais moins d'une minute plus tard, Christopher s'arrêta à nouveau et bredouilla d'une voix blanche:

- Tu... tu as raison. J'entends quelque chose aussi, maintenant. Et... et on dirait que... que ça se rapproche de nous...

Pétrifiés par l'angoisse qui montait créscendo, les jeunes gens se blottirent l'un contre l'autre et attendirent le coeur battant.

La seule chose qu'ils eurent à peine le temps d'entrapercevoir fut une ombre de taille respectable qui passa comme un bolide au dessus de leur tête et où clignotaient des lumières  rouges, vertes et blanches. L'engin volait si bas qu'il provoqua de violentes turbulences qui jetèrent au sol les deux amoureux terrorisés.

Lorsque les éléments se calmèrent, Cynthia se leva toute tremblante et réajusta sa robe que les turbulences taquines avaient retroussée, tandis que Christopher Wilmot, hébété, bredouillait:

- Un ov... un ovni... c'était un ovni... Je suis sûr que c'était un ovni...

- Je ne veux pas savoir ce que c'était, bredouilla la jeune fille au bord des larmes. 

- J'ai peur... Je veux partir.

Christopher approuva: 

- Ouais, ça vaut mieux. Sait-on jamais... Si ça tombe, ces extraterrestres sont à la recherche de terriens pour les étudier et faire des expériences. Il ne nous sert à rien de prendre des risques. Filons !

Par chance, la violence des événements avait fait oublier à Christopher Wilmot que si tout ne se passait pas au mieux cette nuit là, il avait promis de se faire moine. Aucun doute qu'il ne fournirait pas le moindre effort pour s'en souvenir.